dimanche 30 décembre 2012

3ème Millénaire





N° 106   -   Hiver 2012
Thème :   Le Silence
Sommaire
3e millénaire : Un fil d'Ariane dans les pas du silence
Viator : Le silence est une musique
Gangaji : La soumission du mental au silence
Paul Pujol : Le silence et le chant de la vie
Nicole Montinéri : Le silence, espace de la rencontre
Vimala Thakar : Explorer la dimension du silence
John Martin Sahajananda : Le silence ou comment naître à la plénitude
Jean-Marc Mantel : Etre silence
Monique Virelaude : La peur et son double : le silence
Serge Pastor : Le Veilleur Silencieux
David Ciussi : L'Impensable présence au milieu du silence créateur
Betty : L'indéfinissable silence
Peter Fenner : Silence naturel et impensabilité profonde
Document :
Miguel Molinos : Les trois sortes de silences
Râmana Maharshi : L'enseignement du silence
Rudolf Steiner : La voie du silence
Approches de la méditation : La voie de l'épochè
Témoin d’éveil :
David Anza : La clé de la vie
Littérature et Spiritualité :
J. Krishnamurti : Le silence de l'esprit
Poésie :
Marianne Dubois : Poèmes (1949-1954)
  
N°106 - Fil d'ariane sur les pas du Silence   -   Hiver 2012

Le Silence 

Le mystère du silence

Nous ne connaissons pas le silence... Nous le recherchons lorsque les bruits et l'agitation envahissent nos vies, nous le fuyons lorsque l'ennui et l'angoisse se font trop pesants. Ces deux tendances apparemment contradictoires sont enracinées dans notre psyché. Monique Virelaude constate ainsi qu'il existe : « de la peur au silence... du silence à la peur, deux états de conscience étroitement imbriqués et si étrangement solidaires... » Ce sont ces deux tendances qu'il nous faut apprendre à connaître dans leurs fonctionnements [1]. Toutes deux appartiennent au domaine du brouhaha intérieur et se partagent cette double vision que nous nous sommes forgés de « l'état sans bruit ». Cette situation est la manifestation d'une double méprise parce que « le silence n'est pas l'absence de bruit. Il se tient à l'arrière-plan du monde phénoménal », dit Serge Pastor à l'instar de la plupart de nos auteurs. « L'absence de bruit » ! c'est pourtant ainsi que nous envisagions le silence, tant le bruit de nos villes – comme de nos campagnes, souvent – est devenu lancinant, masquant l'angoissante existence de contemporains déboussolés qui ignore l'apaisement. ... Il semble alors que nous ne connaissions pas le silence ! Mais qu'est-ce que le silence ? Et quel sens peut-il avoir dans nos vies ? Avant tout, remarquons, avec le Frère John Martin qu'« il est contradictoire d'écrire ou de parler de silence. En effet, à partir du moment où l'on parle et écrit à propos du silence, il n'y a plus de silence. Le silence n'est pas un objet ». Il faut alors comprendre avec Jean-Marc Mantel que : « nous confondons souvent le silence-objet, perçu, avec le silence du sujet, de la conscience sans pensée ». Cette confusion tient au fait que le silence est notre véritable nature, par-delà la vie et la mort, et que cette essence de ce que nous sommes échappe totalement à nos fonctions cognitives. En effet, précise Viator : « comme l'immobilité, ou l'immuabilité, ou encore l'absolu, le silence n'est pas quelque chose que je puisse appréhender, il n'est pas un phénomène. » C'est pourtant ce que nous en faisons, car nous avons, du silence, des perceptions de quiétude, de tranquillité, de repos ; ses expériences deviennent des représentations du silence-objet jetant leurs voiles sur le silence du sujet. Ces représentations de l'expérience du silence conditionnent notre rapport au monde, aux autres et à nous-même ; elles placent notre conscience dans l'alternance de l'attraction/répulsion et imposent leurs définitions particulières. Pourtant, comme le dit Betty : « définir ce qu'est le silence et être disposé à l'accueillir sous toutes réserves sont deux choses bien différentes. » Le silence véritable, qui n'exclut pas le champ de l'expérience qu'il transcende, est au cœur de nous-même, si bien que connaître le silence revient à « Être silence » et à se connaître soi-même dans la dimension du Soi – connaissance qui, ici, ne s'enferme pas dans les images bruyantes que nous nous renvoyons mutuellement dans la vie sociale. Le sens du silence est alors dans la connaissance silencieuse de nous-même, connaissance à laquelle nous aspirons tous.

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jeudi 20 décembre 2012

Présent




Personne n'a vécu dans le passé, personne ne vivra dans le futur ;
 le présent est le mode de toute vie.

- Arthur Schopenhauer -



mercredi 12 décembre 2012

Miroirs




MIROIRS

Un homme très imbu de lui-même fit recouvrir de miroirs tous les murs et le plafond de sa plus belle chambre. Souvent il s’enfermait là, contemplait son image, s’admirait en détail, dessus, dessous, devant, derrière. Il s’en trouvait tout ragaillardi, prêt à affronter le monde.

Un matin il quitta la pièce sans refermer la porte. Son chien y pénétra. Voyant d’autres chiens  il les renifla ; comme ils le reniflaient, il grogna ; comme ils grognaient, il les menaça ; comme ils menaçaient, il aboya et se rua sur eux. Ce fut un combat épouvantable : les batailles contre soi-même sont des plus féroces qui soient ! Le chien mourut, exténué.

Un ascète passait par là tandis que le maître du chien, désolé, faisait murer la porte de la pièce aux miroirs.

- Ce lieu peut beaucoup vous apprendre, lui dit-il, laissez-le ouvert.
- Que voulez-vous dire ?
- Le monde est aussi neutre que vos miroirs. Selon que nous sommes admiratifs ou anxieux, il nous renvoie ce que nous lui donnons. Soyez heureux, le monde l’est. Soyez inquiets, il l’est aussi. Nous y combattons sans cesse nos reflets et nous mourons dans l’affrontement. Que ces miroirs vous aident à comprendre ceci : dans chaque être  et chaque instant, heureux, facile ou difficile, nous ne voyons ni les gens ni le monde, mais notre seule image. Voyez cela et toute peur, tout refus, tout combat vous abandonneront.

                                                                       Contes des sages de l’Inde.
                                                                           Martine Quentric-Séguy
                                                                                       Edition Seuil
                                                               Collection dirigée par Henri Gougaud
 

dimanche 9 décembre 2012

Agir sans agir



AGIR SANS AGIR

Giraud Daniel

 

Dans un monde moderne particulièrement agité, « l’agir-sans-agir » permet de dépasser les contraires action/inaction en ouvrant une perspective de libération de tous les dualismes.
Agir-sans-agir c’est vivre une action sans acteur, un spectacle sans spectateur, une personne sans personne – jusqu’à ce que l’existence et l’inexistence se dissolvent dans l’inconcevable.
Et si l’agir-sans-agir était une clef pour notre monde moderne survolté, fatigué ?

 Ed. Almora

samedi 1 décembre 2012

Ramesh Balsekar


L’imprévu est certain d’arriver, alors que ce qui est attendu
pourrait ne jamais survenir.

Sri Nisargadatta Maharaj



L’Ashtâvakra est un des textes les plus purs, les plus abrupts qui soit. Il n’est pas une somme de savoirs, une exposition d’érudition qui étouffe l’intuition. Ici, nous ne trouvons que des mots exprimés simplement, sans détour, qui pointent vers Cela qui Est, « vide, silence, pureté, omniprésence ». À accueillir directement dans le cœur, en ce centre d’où émerge le souffle indifférencié et où convergent les énergies manifestées. À l’instar de Ramesh Balsekar qui, lumineux, solide, profond, généreux, et avec une patience inlassable, nous offre de retrouver intuitivement la source qui anime le corps et le mental.
alunaeditions
L’Ashtâvakre Gîta est comme une balise qui éclaire notre compréhension et qui s’évanouira à l’instant où… Tous les maîtres des voies radicales répètent qu’un seul élan suffit, un saut sans effort, sans appui, du phénoménal au nouménal, du temporel à l’instant éternel, du pluriel à l’absolu. « Ce n’est que dans le silence dénué d’effort du vide phénoménal (qui est le plein nouménal) que le saut peut se produire », nous dit Ramesh Balsekar. Silence de la transmission, de l’efficience du maître et de l’accueil dans le cœur du disciple. Silence de l’essence en sa plénitude.

Nicole Montinéri


PRÉFACE


L’Ashtâvakra Gîtâ est un texte ancien védantique (antérieur au VIIe siècle)
qui relate les entretiens entre le saint réalisé Ashtâvakra et son disciple, le roi
sage Janaka. Le corps marqué du sceau de l’incapacité par huit déformations
corporelles, Ashtâvakra témoigne que le handicap physique n’entrave pas
notre capacité d’être, qui ne dépend que de la Conscience.
Par-delà le temps et l’espace, ce texte nous touche car il nous parle de l’origine
qui ne peut être divisée, conceptualisée, limitée par des catégories mentales
qui varient selon les époques et les lieux. Il exprime la spontanéité, la simplicité
de celui qui a réalisé que tout ce qui est, est Conscience. Conscience qui
ne peut jamais être expérimentée, faire l’objet d’une perception ou d’une
connaissance.
Ashtâvakra ne prodigue aucun enseignement qui ajouterait de l’illusion à
l’illusion. Nulle explication n’est requise pour le roi Janaka à l’esprit transparent.
Qu’est-ce qui pourrait révéler la Conscience ? Instructions, pratiques, activités
procèdent d’Elle, sont Elle. Un Tout en lequel n’existe aucun moyen d’accès.
Le seul rayonnement suffit pour provoquer l’absorption du disciple dans la
Réalité où baigne le maître.
L’Ashtâvakra est un des textes les plus purs, les plus abrupts qui soit. Il n’est
pas une somme de savoirs, une exposition d’érudition qui étouffe l’intuition.
Ici, nous ne trouvons que des mots exprimés simplement, sans détour, qui
pointent vers Cela qui Est, « vide, silence, pureté, omniprésence ». À accueillir
directement dans le coeur, en ce centre d’où émerge le souffle indifférencié
et où convergent les énergies manifestées. À l’instar de Ramesh Balsekar qui,
lumineux, solide, profond, généreux, et avec une patience inlassable, nous
offre de retrouver intuitivement la source qui anime le corps et le mental.
L’Ashtâvakra Gîtâ est comme une balise qui éclaire notre compréhension et
qui s’évanouira à l’instant où… Tous les maîtres des voies radicales répètent
qu’un seul élan suffit, un saut sans effort, sans appui, du phénoménal au
nouménal, du temporel à l’instant éternel, du pluriel à l’absolu. « Ce n’est
que dans le silence dénué d’effort du vide phénoménal (qui est le plein
nouménal) que le saut peut se produire », nous dit Ramesh Balsekar. Silence
de la transmission, de l’efficience du maître et de l’accueil dans le coeur du
disciple. Silence de l’essence en sa plénitude.
Les maîtres savent bien que là où il n’y a ni pensée, ni mot, ni corps, ni sens, ni
objet, l’enseignement n’a pas de sens. Il n’y a pas de connaisseur, il n’y a donc
rien à connaître. Seule cette indication, « simplement un mouvement dans la
Conscience ». Moins la pensée vibre à ce que les sens perçoivent, plus le mot
se raréfie, le concept s’éteint. Comment dire la Réalité qui a le vide pour fond
et la liberté pour forme ? Reste le silence, qui englobe et pénètre tout, unique
expression possible de soi à Soi.
Janaka auprès d’Ashtâvakra, Ramesh Balsekar auprès de Nisargadatta Maharaj,
se sont mis en situation de recevoir, dans une attitude humble, un état recueilli
d’attention, l’esprit reposant dans sa vacance et laissant surgir puis se résorber
ce qui vient sans rien conceptualiser. L’énergie d’amour qui unit peut dès lors
circuler.
Tout regard duel ayant disparu, le maître transmet de coeur à coeur le souffle
d’énergie cosmique qui brûle les dernières identifications chez le disciple. Celuici
retrouve son universalité, en laquelle seule il a réalité.
Aucun d’entre eux n’est dupe : c’est une même Conscience qui écoute et
questionne en tant que disciple, qui éclaire et répond en tant que maître. Elle
est illumination en Elle-même. La réalisation survient par simple réfléchissement…

Nicole Montinéri.
Nice, 2011


Communiqué de presse Ed. Aluna
Télécharger le communiqué de presse (pdf, 2,6 Mo)



samedi 10 novembre 2012

Jacques Lusseyran




Jacques Lusseyran
Le monde commence aujourd'hui
Jacques Lusseyran a grandi à Paris et est devenu complètement aveugle à l'âge de huit ans. À la tête d'un important réseau de résistants, il fut arrêté par la Gestapo et interné au camp de Buchenwald de janvier 1944 à avril 1945. Sa vie fut empreinte de la conviction profonde que toute expérience est une occasion et que la joie et la tranquillité sont sans cesse disponibles en nous immédiatement et en abondance. Il nous parle ici du pouvoir de l'attention.
(…)
L’autre jour, j’étais là-haut. Je touchais terre, mais si peu : tout s’ouvrait autour de moi, le ciel et les vallées. Je m’appuyais de tout mon corps sur l’air. J’entendais le vent glisser le long des pentes et jouer. J’entendais les pas immobiles des deux monts dressés. J’éprouvais la verticalité de l’espace et ses inflexions au fil des forêts et des roches. Je savais exactement où étaient toutes choses et je les suivais. Je voyais le paysage, et ceux qui étaient près de moi, avec tous leurs yeux, le voyaient aussi, le paysage, autrement, ni plus ni moins.
Illusion! Un aveugle peut entendre, toucher, respirer, deviner un paysage : il ne saurait voir. Allons! Je vous l’accorde : je ne le voyais pas, je le connaissais. Mais êtes-vous suffisamment assurés de ce que vous faites de vos yeux, ou de ce que vos yeux font pour vous, pour affirmer péremptoirement la différence? Chaque fois que je contrôle mes sensations par celles des voyants, c’est une surprise générale.
Pour moi aussi, c’est une surprise : je ne m’habitue pas à cette coïncidence, et j’en viens à penser qu’elle me dépasse. Certainement, elle dépasse mes dons personnels et témoigne de la continuité de l’univers, laquelle est si parfaite qu’elle peut à peine être dite dans ma langue d’homme.
Si j’attrape un son du Blue Ridge1, un courant du Blue Ridge, je connais aussitôt cette montagne toute entière, et je la connais de toutes les façons à la fois : je la vois aussi. Quant à vous, votre chance est la même : regardez-la de tous vos yeux, et aussitôt vous l’entendrez, la pèserez, la palperez.
Je n’ai pas à justifier le fait, car ce n’est pas moi qui ai filé le tissu du monde — ce tissu qui ne comporte pas de trou. Mais j’ai le droit de tenir ce fait longuement et précieusement dans ma pensée, et de vous inviter à me suivre.
À me suivre d’abord dans des mouvements de perception élémentaire. Je pose la main (et de préférences les deux mains) sur le mur de briques de la maison, là au milieu de sa pelouse : aussitôt je connais la maison tout entière. J’ai touché une brique, deux briques, un espace matériel étroit et de la plus parfaite banalité. Je n’ai donc presque rien senti, presque rien appris. Et pourtant je sens la maison jusqu’à son toit.
Cette constatation m’a tellement surpris pendant des années que je la gardais pour moi, à demi persuadé que j’avais affaire à un mirage, à une pure construction imaginative. Puis elle s’est imposée dans toute sa simplicité.
N’ayez crainte, je ne vais pas vous demander, sans plus attendre, de me croire. Je ne vais pas vous demander ce que j’ai mis si longtemps à obtenir de moi-même et n’obtiens encore aujourd’hui que par instants. D’ailleurs ce n’est pas de croyance qu’il s’agit, mais de méditation, c’est-à-dire d’attention.
Nous raisonnons tous à partir d’une idée préconçue : l’idée que la réalité et tout particulièrement la réalité la plus dense, celle que nous disons «matérielle», est constituée de parties successives. Nous nous comportons donc comme si, dans toute opération perceptive, nous devions aller d'un point à un autre, lentement, méticuleusement, analytiquement. Cette analyse devient pour nous le mouvement même de la connaissance, l’unique chemin qui conduit jusqu’aux choses. Nous voyageons ainsi à la surface du monde, sans prendre garde que nous confondons le miroitement de l’étoffe, sa raideur ou son poli, ses dessins, avec l’étoffe elle-même.
Les vrais responsables, ce sont ici nos yeux. En effet, la vue est sans doute le plus souple de nos sens, et le plus généralement exercé. La vue est, d’autre part, celui de nos sens auquel nous daignons nous fier le plus. Mais c’est un sens fondamentalement mobile, dépendant de l’espace et de ses limites, un sens qui n’entre en jeu que s'il est orienté et n’apporte ses informations, des informations nouvelles, que si nous modifions progressivement son angle par rapport aux choses. Voilà une bien grande gêne à laquelle nous devrions songer davantage.
Nous nous promenons le long des choses, nous les caressons du regard, et nous ne connaissons la maison qu’après l’avoir reconstruite de la base jusqu’au toit, brique à brique.
Nous croyons du moins procéder ainsi. Mais en avons-nous la preuve? Comment affirmer qu’il n’y a pas eu dans le premier coup d’œil, dans la première brique que le regard à frappée, le premier ton d’une mélodie dont tous les autres devaient nécessairement jaillir, la raison, elle aussi nécessaire, d'une progression dont tous les éléments étaient dès lors prévisibles?
C’est alors que mon expérience d’aveugle peut-être relaie la vôtre. Car enfin, je vous l’ai dit, une brique pour moi fait la maison, mon premier pas dans le vestibule fait le living-room, le premier son de la voix fait l’homme.
Je ne suis pourtant pas plus malin que les autres. Je n’ai pas de puissance divinatoire ni magnétique spéciale. Ce n’est pas moi qui suis devin : c’est le monde qui se donne tout entier dans chacune de ses parties.
Certains soutiennent que les lignes de la main disent la destinée. Mais il me semble encore plus vrai que le nez, le pli de la lèvre, la folie d’une mèche de cheveux, l’onctuosité ou la raideur de la chair, le plus bref soupir, la toux, le rire, l’oscillation du buste ou sa fixité, la plus légère odeur qui vient d’un homme, disent l’homme tout entier et son destin.
De même, l’air qui me frappe, quand sortant de la voiture, je rencontre le Blue Ridge, me dit le Blue Ridge, et l’air de la 42e Rue me dit Manhattan, et celui du Luxembourg, Paris, Paris tout entier et rien d’autre que Paris.
Naturellement, cette profession de foi est parfaitement intempérante. Mais c’est que je n’ai pas encore dit l’essentiel.
En temps ordinaire, ma main sur la brique modeste et intacte du mur ne m’apprend pas, cela est vrai, que, dix centimètres plus loin, le mur se dégrade ou se fend. Elle ne m’apprend pas, ou très insuffisamment, la pente du toit, l’équilibre ou les contorsions architecturales de l’ensemble. Mais ce n’est la faute ni de la main ni de la brique : c’est ma faute.
À chaque instant je connais du monde juste ce que je mérite d’en connaître. La mesure de ma connaissance est celle de mon désir, de mon attention.
Cette fois nous tenons le fil. Et pas seulement le fil d’un objet particulier, mais celui qui noue l’univers et son réseau vivant.
L’attention seule commande : c’est elle qui fait l’univers.
Je vais donc essayer de rendre ma main attentive, ou plutôt de me rendre attentif à travers elle. Pour cela, il n’est, à ma connaissance, qu’un seul moyen : ne pas transporter les idées de ma tête jusque dans ma main.
J’ai beaucoup d’amitié pour les idées en général, j’en ai encore plus pour les miennes propres, hélas! Mais je crois savoir aujourd’hui que les idées ne sont pas toujours à leur place où nous les mettons, c’est-à-dire dans le moindre de nos gestes. Nous ferions souvent bien mieux de faire le geste d’abord. Au fait, le geste d’habitude ne nous attend pas : ce sont nos idées qui lui courent après, et d’autant plus vite que nous sommes intelligents, comme on dit dans la bonne société. Eh bien, je le répète, nos idées ont souvent, ont presque toujours tort, non pas d’exister, mais de faire un métier qui n’est pas le leur, de se jeter dans nos jambes, de nous barrer le chemin, de se précipiter en tiers dans toutes nos rencontres.
Nos rencontres avec la réalité n’ont pas à être d’abord des rencontres d’intelligence, mais de réalité. Si nous disions à nos idées, à nos opinions, à nos jugements, à nos habitudes, à notre démangeaison de savoir avant de connaître : «Tenez-vous tranquilles, les amis! Je vous appellerai dans un instant», aussitôt, notre perception de l’univers serait bouleversée de fond en comble. Nous ne le reconnaîtrions plus, notre vieux monde. Et il ne serait plus fatigué ni incohérent.
Ce serait une vraie révolution celle-là et pas seulement politique. À la place de ce charroi d’objets morts, d’objets composés et décomposés, dont notre monde est endeuillé à chaque seconde, à la place de ces faits isolés, de ces consciences isolées, de ces monceaux et tourbillonnements qui gagnent sur nous chaque jour davantage, nous verrions se dresser des forces vivantes.
Ce serait, à n’en pas douter, un grand spectacle, et qui aiderait à vivre. Pouvons-nous en dire autant de beaucoup de spectacles de notre monde présent?
Si je me fais attentif à travers ma main, si j’attends la réponse à la question, si petite soit-elle, que j’ai posée, si je patiente, je connaîtrai l’enlacement mobile de toutes choses, le courant qui les unit, tous leurs cristaux. Et la brique me dira la maison, avec ses moindres fêlures ou son plus lointain éclat.
Un homme entièrement attentif connaîtrait entièrement l’univers. Les sages qui font de la sérénité une condition de toute connaissance ont bien raison, car la paix intérieure nous met en disposition attentive. Rien ne disperse davantage que l’inquiétude et le doute, à moins que le doute ne soit méthodique, se réduisant alors à une prudence de l’esprit.
Dans la perception d'un homme attentif, la réalité se livre : des pans entiers se détachent sous la seule pression de la main, sous un seul regard. Mais la main n’est alors, et le regard n’est lui-même qu’un instrument. C’est toujours au-dedans de nous que la connaissance a lieu, c’est-à-dire dans cet endroit où nous sommes reliés à toutes choses créées.
La paix intérieure, c’est cela, et c’est cela l’attention : c’est un état de communication universelle, un état de réunion.
Or, nous passons le meilleur de notre vie à diviser. Nous sommes en brouille, en contestation avec toutes choses, et d’abord avec nous-mêmes. Ce n’est pas seulement une révolte vaine, c’est une folie coûteuse.
Nous passons notre temps à préférer les idées que nous avons du monde au monde même. L’égoïsme n’est qu’une forme, et très particulière, de cette préférence totale. Ce qui m’empêche de lire dans la pensée d’autrui, ce n’est pas le silence d’autrui, ou même ses mensonges. C’est le bruit que je fais, dans ma tête, à son sujet. Avant d’aller à lui, je calcule, je pèse et contre-pèse les mérites et les torts, je tire déjà ma conclusion. Cette conclusion, je la crie dans mes propres oreilles. Je m’enivre d’elle, je m’endors déjà sur elle. Comment pourrais-je m’étonner ensuite de ne pas voir cet homme que j’ai enseveli dans mon vacarme? Je me suis dressé dans mon armure d’habitudes, dressé moi-même entre lui et moi. Je vais donc me tromper, être trompé, m’établir enfin dans ma solitude — une solitude hostile. Ah! L’artificielle misère, et comme il serait plus simple de faire attention! Comme cela nous rendrait heureux!
Le mécanisme de l’attention me fait songer à celui de la mémoire. De même que les premières notes d'une mélodie, retrouvées par hasard, s’accrochent aux suivantes et ressuscitent la musique toute entière, de même la première perception attentive provoque la venue — le retour, devrais-je dire — d’une portion tout entière du monde. Le retour, oui : l’univers apparaît à la façon d'un souvenir. Le paysage que je découvre, que je suis venu jusque dans la lointaine Amérique pour tenir devant moi, il m’attendait quelque part, je le contenais depuis toujours. Ma perception d’aujourd’hui ne fait que l’actualiser, le rendre urgent. L’attention révèle cette absolue préexistence de toutes les parties du monde en moi.
Préexistence ou coexistence? Je n’en déciderai pas. Mais à coup sûr, familiarité totale, mouvement continu de toute chose à toute autre. C’est une grande merveille : je ne puis nommer le fait autrement. Elle rend compte de tout, et même du remplacement instantané — la plus étrange de mes expériences — des sensations visuelles par toutes les autres.
Cet amour, cette circulation de la sève primordiale à travers toutes les fibres de la création, les poètes la voient. C’est pourquoi j’aime tant les poètes. C’est pourquoi j’ai tant d’indulgence envers leurs défauts, et même leurs échecs. Cela au moins qui est essentiel, ils le savent.
Philosophes et savants, il est vrai, le savent aussi. Mais ils placent le foyer de leur attention trop près de leur visage ou de leur pensée pour attraper la mélodie entière du monde : ils n’en saisissent que des fragments. De là, bien des discordances, parfois même de la cacophonie.
Les poètes, eux, portent leur attention très loin, si loin quelquefois qu’il nous est malaisé de les suivre. Ils assistent à des fiançailles, à des mariages partout, ils ont une tendresse sans fin pour les relations les plus distantes : entre les idées et les objets, les hommes et les pierres.
S’ils ne voient pas tout, s’ils ne possèdent pas la connaissance pleine, c’est peut-être simplement qu’ils parlent. Les mots font retomber leur vision en poussière. Les mots les plus beaux, les plus rares n’ont ici aucun privilège : ils diminuent, eux aussi, tout ce qu’ils touchent.
Et moi, qui voudrais vous dire, avec des mots, cette expérience que j’ai de la simplicité du réel, je la diminue moi aussi : la voici toute petite dans mes mains.
Pourtant elle n’est ni petite ni confuse : c’est sur elle que je vis. C’est elle que je respire. C’est de me la rappeler, cette expérience, aussi souvent que je le peux, que je prends le courage d’exister. Mon courage n’est pas à moi, il est dans la vie. À moi de l’accepter ou de la refuser : c’est tout.
Ainsi du courage. Mais ainsi, de même, du bonheur et de la connaissance. Et, au bout du compte, de la vie elle-même.
Tout ce qui fait accepter la vie est bon. Tout ce qui nous la fait refuser est médiocre et provisoire.

1. La crête du Blue Ridge, en Virginie, fait partie de la chaîne des Appalaches.

Source : Omalpha 

Réédition aux éditions Silène nov. 2012









Le masque....




“Notre conscience intellectuelle est comme un acteur qui aurait oublié qu’il joue un rôle. Quand la représentation s’achève celui-ci doit pouvoir se rappeler sa réalité subjective car il ne saurait continuer à vivre le personnage de Jules César ou Othello;
 il doit revenir à son propre naturel, chassé par un artifice momentané de la conscience. Il doit savoir de nouveau qu’il n’était qu’un personnage sur une scène, qu’une pièce de Shakespeare a été représentée, qu’il existe un régisseur et un directeur de théâtre dont les avis, avant et après la représentation, font la pluie et le beau temps.”

Jung: Extrait de “L’homme à la découverte de son âme”
 
 

lundi 29 octobre 2012

Francis Lucille



Français / Espagnol






D'autres vidéos de Francis : Cliclic




Danses sacrées




Renseignements :

 * Création d'un Mandala du jeudi (14 h) au dimanche
Visite libre de 10 h à 12 h et de 14 h à 18 h
  Cérémonie de dissolution du mandala le dimanche à 10 h

* Spectacle de Danse:
 Jeudi 1er novembre, 20 h à Pontenx les Forges (salle des fêtes)
      Samedi 3 novembre, 20 h à Commensacq (salle des fêtes)
entrée : adulte 12 €, enfant 5 €

    * Dimanche 4 novembre à 14 h
     Conférence sur les 4 Nobles Vérités

* Consultation astrologique et divinatoire sur rendez-vous effectuée par Gomdé Rinpoché

* Un repas avec les moines sera organisé chaque jour, sur réservation uniquement
(20 personnes maximum)

Tous ces évènements (sauf les danses) se déroulent à l'Atelier des Résiniers
à Pontenx les Forges

Renseignements au:
06.26.85.78.56 (association Guidensoi)
ou 06.21.06.08.13  (association Célestine)

Grâce à vos dons, la Tournée Européenne des Moines de Séra va permettre
la réalisation de bâtiments d'étude au sein du monastère de Séra Jey (sud de l'Inde)



dimanche 28 octobre 2012

Jeff Foster





Le mystère de la vie n'est un mystère 
que du point de vue de celui qui tente de comprendre.
 Lorsque vous êtes la vie, 
 il n'y a pas de mystère intérieur ou extérieur à comprendre - 
il n'y a que la simplicité radicale de ce qui est,
 inséparable de ce que vous êtes. 
Etre ici, maintenant, inspirer, expirer, voilà le vrai mystère...



Tao Te King





Trente rais se réunissent autour d'un moyeu. 
C'est de son vide que dépend l'usage du char.

On pétrit de la terre glaise pour faire des vases.
C'est de son vide que dépend l'usage des vases.

On perce des portes et des fenêtres pour faire une maison. 
C'est de leur vide que dépend l'usage de la maison.

C'est pourquoi l'utilité vient de l'être, l'usage naît du non-être. 


 

mardi 23 octobre 2012

Yolande





AMOUREUSE DU SILENCE

RÉMUS CHANTAL, DURAN-SERRANO YOLANDE




Qui es-tu, Yolande ? Oui, quelle est donc cette femme qui, en dehors de toute démarche spirituelle, connut une éclatante révélation la conduisant vers un chemin de lumière ? 
A qui souhaite connaître l’histoire de Yolande, celle-ci se laisse découvrir, au fil des échanges en public et de ses propos en privé. Une vie simple à l’écoute du silence, un regard ouvert sur le monde, une paix intérieure qui la construit. 
Ce second livre n’est pas un guide vers l’éveil, mais un témoignage d’amour universel, une invitation à partager le bonheur d’une vie radieuse en accueillant ce qui est. 
Mettre en mots une expérience si particulière n’était pas chose aisée. Il aura fallu le talent et la sensibilité de Chantal Rémus, engagée à la fois sur la voie poétique et sur la voie spirituelle, pour rendre perceptible ce qui, profondément, anime Yolande. Ces deux « amoureuses du silence » devaient se rencontrer pour que nous soit esquissée, sous la plume légère du poète, la densité d’un regard comblé par l’essentiel. 
 
Editions Almora  Octobre 2012
 
 

Extrait d’Amoureuse du Silence  

 

Le silence entre nous s’installe, un silence qui n’est pas seulement une absence de mots mais un lieu où les dernières paroles prononcées s’infusent et où tout finit par se dissoudre dans la sensation pure. Il me semble toucher cette essence qui absorbe tout le reste.

p.26
Les yeux sont dessillés, et voient non ce qui devrait être, ne serait-ce que pour nous rassurer, mais CE QUI EST.

p.26
L’individu enfermé dans son mental ne peut se connaître. Cette connaissance est en même temps totale inconnaissance et n’est possible que si le mental est dissous. Il ne demeure alors plus aucune séparation entre le visible et l’invisible, le passé et le futur, la vie et la mort, l’être et le non-être.
On voit en un instant le cœur, l’origine de toutes choses. On voit que la liberté et la perfection ne peuvent exister, qu’il n’y a rien à changer dans le monde, car, depuis l’origine, chacun de nous est CELA. Ce qu’on appelle la grâce, c’est la libération de l’idée d’être une personne.

p.28
Le prisme le plus fidèle de ce qu’elle a vécu reste cette phrase de Nisargadatta déjà citée dans son premier livre:
Je ne m’occupe d’aucun miracle en dehors des trois qui sont en moi: le premier est que j’ai la faculté de voir le monde; le second est que le monde est contenu dans cette minuscule tache de conscience que je suis. Le troisième est l’apparition de l’être à partir du non-être. Réfléchissez à ces miracles. Tout ce qui est en vous.

p.32
C’est toujours quelque chose d’inexplicable à laquelle on ne peut pas s’attendre, un vécu d’explosions, de fulgurances, avec ce doigt sur le cœur venu plus tardivement.
….
La nature de ce je suis est claire. Je suis simplement le témoin de la succession d’activités qui se déroulent en moi.
La vraie déconnexion, l’éveil, c’est une fois pour toutes. Tant qu’on se reconnecte, ne serait-ce qu’un instant, à la conscience individuelle, c’est qu’on n’a pas pris la voie directe et qu’on ne demeure pas dans l’absolu, dans le silence absolu.

p.33
Se connaître en tant que cela, c’est le seul miracle, que l’on peut qualifier de quatrième état, même si ce dernier n’a plus les caractéristiques de ce que l’on nomme habituellement ainsi: apparition de l’être à partir du non-être, notre véritable nature n’étant pas de penser mais de voir. Cette vision nous met au cœur de toutes les manifestations, rendant impossible l’identification à la moindre action, politique, sociale, humanitaire.
L’aide n’est plus extérieure, elle est au centre de soi. Être ce silence, cette vacuité est l’émanation de cette aide elle-même.
Il suffit de comprendre ce grand «je ne sais pas» pour comprendre toute chose. Il suffit d’être uniquement et totalement cette chose pour être le Tout.

p.36
L’amour profond consiste à amener l’autre vers l’Un, amener la relation vers l’infini de l’amour plutôt que de descendre dans l’appropriation. Il est important de se détacher de l’idée d’être une personne amoureuse et de tomber d’abord amoureux du mystère de la vie.

Notre seule liberté est de nous connaître en tant qu’énergie pure. Vouloir se transformer est notre piège.
Le miracle, c’est de ne rien choisir, de sorte que la vie poursuive son cycle ininterrompu à travers notre corps.

p.40
Le Silence est discours ininterrompu, toujours en perpétuelle métamorphose, prêt à épouser toutes les formes, extatiques mais aussi ordinaires. Elle constate que cette flambée énergétique finit toujours par se résorber, ce qu’elle expérimente surtout lorsque, fermant les yeux, elle entre dans une relaxation très profonde.

p.49
Vivre, c’est faire face à tout ce qui arrive dans cette Paix et cette Tranquillité.

p.50
— Comment définiriez-vous l’amour dans cette dimension-là?
— C’est cette possibilité d’accepter tout ce qui se présente, d’aimer tout ce qui est, et d’avoir conscience de cet espace infini. C’est être totalement disponible, partager cette Paix, cette Tranquillité. Mais le définir est encore bien le réduire par rapport à ce qui se vit en direct dans cette expérience.

p.56
Lorsque je suis avec un ami qui n’est pas dans le spirituel, il peut avoir l’impression que je décide, mais l’important n’est pas ce que croit l’autre mais ce que vous voyez, vous. C’est cette conviction profonde, indétrônable même pour la personne à laquelle vous vous identifiez, c’est cette conviction qui est là avant tout et qui va prendre le pouvoir sur tout.

p.74
— Notre véritable nature n’est pas de penser mais de voir. Voir la réalité de cette illusion. De ce point de vue, il n’est plus possible d’embarquer dans les projections. Tout est expression du Silence. L’aide est là, constamment. Quand on ne gaspille plus son énergie pour sa petite personne, alors l’aide est là pour le monde entier.
On voit toujours le déroulement du film, on est témoin de son existence, de celles des autres, mais l’essentiel est ailleurs. Tout est illusoire.

p.75
— La vie se charge de tout. Le corps est très intelligent, surtout si l’on est immergé dans cette consciente constante de l’éternité. On n’a plus besoin de craindre la mort. Même si le corps décidait de s’arrêter maintenant, on serait d’accord. On ne se défend plus de la mort, ni pour soi ni pour quelqu’un d’autre. Bien sûr, il est préférable de mourir avant la mort, d’une mort psychologique qui rend la personne libre de la mort.

p.82
— Je sens que quelque chose existe avant le corps et l’esprit. Ce corps et ces sens sont focalisés sur un espace de lumière qui est là avant tout le reste et qui est témoin de toute la manifestation. Cet espace immobile, cette puissance, cette verticalité avant les sens, avant l’apparition de tous les phénomènes, avant la moindre pensée, avant l’instant pré- sent, c’est cela, le Silence. Cette paix, cette tranquillité qui en se reliant à l’horizontalité, crée l’équilibre.
Ce silence, vous pouvez l’appeler «présence», c’est la même chose.

p.139
 Épilogue ou nouveau commencement?
Comment conclure? La lecture d’un livre ne remplacera jamais la rencontre de cet effluve d’Énergie Pure, que représente la rencontre d’une personne en état permanent d’Éveil. En sa présence, on ne peut que se rencontrer soi-même, non en tant que personnage mais en tant qu’incarnation sensible de tout ce qui vit.
En effet, Yolande ne propose aucun dogme, aucun chemin de sagesse, elle montre ce que pourrait être notre vie si nous nous délivrions de ces croyances qui tissent autour de nous un cocon rigide dont nous ne percevons plus l’existence. Derrière ce cocon palpite un papillon prêt à ouvrir ses ailes. Il suffit, comme le dit Yolande, de s’abandonner avec une confiance absolue.

Yolande  site : clicclic


 
 

lundi 22 octobre 2012

Nicole Montineri




C’est le récit libre de Marie l’Égyptienne, dont l’histoire mystérieuse serait parvenue par transmission orale jusqu’à Sophrone de Jérusalem (fin 5e S./début 6e S.), alors qu’il était simple ermite de Palestine.
Marie l’Égyptienne est d’abord la prostituée qui incarne tout être en exil à l’extérieur de lui-même et qui, par l’audace d’une force d’amour immense, se retourne en elle-même, dans son intériorité. Elle part vivre solitaire dans le désert du Sinaï, matrice de feu, où elle se réalise source de vie éternelle.
Totalement brûlée par l’amour absolu, elle est l’archétype de l’être mystique qui va au-delà de l’union avec la déité, si enivrante soit-elle. Elle s’anéantit, elle « perd » Dieu qui s’anéantit aussi. Dans cette double mort, source de l’unité, la Divinité, ou l’Essence, a englouti le dieu personnel. Les séparations s’abolissent, passage du fermé à l’ouvert.


Nicole Montineri rejoint au plus près cette « expérience » indicible. Elle nous parle du vécu mystique dans la réalité de son propre vécu.


La voie brûlante de l’amour prolonge ce retour à l’être profond, dans une transmutation des ténèbres percées jusqu’au noyau par l’épée lumineuse de l’énergie d’amour.

On touche avec ces deux textes à l’essence de la Réalité ultime.


 Nicole Montineri vit dans le Sud de la France. Elle a publié «N'ayons pas peur de mourir» et «Déraciner la souffrance».

dimanche 21 octobre 2012

lundi 15 octobre 2012

Christian Bobin






"C'est quoi, réussir sa vie, sinon cela, cet entêtement d'une enfance, cette fidélité simple : 
ne jamais aller plus loin que ce qui vous enchante à ce jour, à cette heure.
Emprunter ce chemin qu'on ne suit qu'à s'y perdre."

Christian Bobin
"La part manquante."



dimanche 7 octobre 2012

Jeff Foster

                                                             Photo : File ElectronicLanguage InternationalFestival


                                                      LA FOURNAISE DE L'ÉVEIL

Vous n'avez pas de moi ? Vous avez perdu votre égo il y a quelques années? Vous n'êtes plus une personne ? Tous sens de "moi" s'est désintégré ? Vous avez une fabuleuse histoire d'éveil à raconter ? Vous êtes un maître spirituel sans parallèle complètement, totalement éveillé ? Fantastique ! Maintenant allez dans le monde mon petit ! Maintenant plongez dans le monde (qui n

'est maintenant rien d'autre que vous-même) et forgez cet éveil dans le feu brutalement aimant de la vie elle-même, dans le feu impitoyable de la douleur et du chagrin, dans la fournaise des relations intimes avec un partenaire, des amis, des parents, des étudiants, qui refusent de vous épargner leurs commentaires brutalement honnêtes au sujet de vous-même, qui ne sont pas tout le temps d'accord avec vous, et voyez si vous pouvez vraiment entendre et sentir ce qu'ils disent sans être sur la défensive, sans les attaquer ou recourir à des histoires concernant votre supériorité spirituelle, ou en les chassant de votre vie pour toujours.

Allez vivre, aimer, découvrir, avoir un enfant, ou non, laisser un enfant s'en aller, ou non, enseigner et être déçu par l'enseignement et le prêche et le fait de prétendre savoir, apprendre à aimer quand ils écoutent et aimer quand ils n'écoutent pas, leur permettre de rester et leur permettre de s'éloigner, trouver la joie dans les choses simples, découvrir ces besoins cachés en vous, ces sentiments d'insuffisance et de supériorité, et le besoin d'être aimé et approuvé, les sentiments que vous pensiez voir disparaître avec l'éveil, faire face à toute la merde enfouie à laquelle vous pensiez avoir réussi à échapper, rencontrer la vie dans son ensemble en tant que vous-même, tout autoriser dans cet espace éveillé, tout accueillir tel un hôte bienvenu, tout ce qui est dans ce moment, et remarquer, avec humilité écrasante et respect, que cela est autorisé que vous l'autorisiez ou non, et que vous ne savez pas ce que vous pensiez savoir sur le fait "d'autoriser".

Vivre, aimer, pleurer, tomber sur le sol en riant, avoir un cancer, crier au lit la nuit, se pisser dessus, faire l'expérience de la félicité comme vous ne l'avez jamais fait auparavant, et l'autoriser à passer lorsqu'elle le doit, faire l'expérience de la douleur comme vous ne l'avez jamais fait auparavant, et l'autoriser à rester aussi longtemps qu'il le faut, perdre un membre, regarder un être cher perdre l'esprit, passer par la douleur ou la joie ou la déception ou l'extase ou la terreur et en ressortir avec le coeur brisé et ouvert, plus exposés et vulnérables et ouverts aux expériences et aux autres (qui sont maintenant vous-même) que vous ne l'auriez jamais cru possible.

Faites l'expérience de tout cela, tout, crucifiez-vous avec tous les moments sacrés de la vie, et puis, sur votre lit de mort, dans vos derniers instants, je vous tiendrais la main, puis, peut-être, si cela vous intéresse toujours, et si vous pouvez encore vous en souvenir, nous parlerons de votre éveil fabuleux, complet, inégalé.

Ou nous pourrions tout simplement nous asseoir tranquillement ensemble, ici, maintenant, dans cette présence intime, au-delà de toutes les histoires.

Unmani Liza Hyde



Unmani Liza Hyde : Détente dans le non-savoir


Unmani Liza Hyde est l’auteur d’une autobiographie de son éveil intitulé “Je suis la vie même, Le paradoxe absolu du Rien en tant que Tout” (Charles Antoni L’Originel, collection Non-Dualité, 2007). 
 

A cause de mon pied cassé, j’ai passé la plus grande partie du mois suivant, alitée à contempler le plafond. Je me sentais tellement perdue et à bout de force. La souffrance physique et émotionnelle était insupportable. « Ce n’est pas possible ! Je ne peux pas continuer ainsi. Cela ne peut pas être tout ce qui est ! »
Environ un an plus tôt, j’avais entendu parler d’une femme qui abordait le sujet de « l’Eveil ». La première fois que j’avais entendu ce terme « Eveil », je n’avais aucune idée de ce qu’il signifiait et n’étais pas vraiment intéressée de le savoir. Cela semblait être encore une autre expérience spirituelle, un nouvel objectif à atteindre. Je savais déjà que ces objectifs spirituels n’avaient rien à voir avec la complétude de la réalisation. Mais quand j’en ai entendu davantage sur ce que cette femme disait, je devins terrifiée à l’idée d’aller la voir, car je réalisais bien que d’une certaine façon, c’était la fin.
Condamné au lit avec mon pied cassé, je commençais à l’envisager. Tout en étant terrifiée, je savais aussi que je ne pouvais pas continuer de la sorte. Je me sentais assez suicidaire. La vie ne valait pas la peine d’être vécue. Tout ce que je voulais c’était atténuer ma peine, dormir ou mourir. Je suis donc allée la voir.
Alors même qu’elle parlait, je luttais contre tout ce qu’elle disait. J’essayais de tout organiser. J’essayais de comprendre et de relier ce qu’elle disait avec ce que je pensais connaître. Les pensées tournoyaient et travaillaient très dur pour trouver la solution.
C’est à ce moment-là, qu’il y eu soudain une reconnaissance de ce que je suis. Maintenant c’est vu comme ce qu’on appelle « l’Eveil ». Je ne peux pas dire que c’était quelque chose de vraiment spécial car il n’y avait rien, ni personne pour la décrire. Après ce non-événement, les pensées ont essayé de rapporter, d’expliquer que c’était arrivé à cause de ceci ou cela. Mais en fait c’était arrivé, tout simplement ! Ou plus précisément rien n’était arrivé. C’était en fait, la reconnaissance du caractère tout à fait ordinaire du non-savoir, mais avec elle, il y avait une relaxation et un tel soulagement par opposition au désespoir de la recherche. Il était évident que ce qui était montré, était vraiment ce que je suis. Je l’avais toujours su, mais je m’étais tellement habituée à ne pas le voir, car c’est toujours là, en arrière-plan du jeu de la vie. Je m’étais tellement habituée à ce que les gens fassent semblant et parlent de tout ce qui apparaît dans le jeu, que je n’avais jamais compris que le jeu pouvait être utilisé pour exprimer cela même, qui connaît le jeu. Une fois « vu », ce n’était plus que rires. « Regardez, nous ne faisons que faire semblant. Ha ! Ha ! » C’est ce qu’on appelle « l’Eveil ». En fait on aurait pu presque dire qu’il y avait fusion avec ce qui était déjà connu, mais seulement négligé. Il y eut des larmes de gratitude envers la Vie. Enfin, enfin trouvé. Enfin reflété dans l’apparence. Enfin le voile pouvait tomber, il n’y avait que la détente dans le non-savoir.

Unmani Liza Hyde, Je suis la vie même, Le paradoxe absolu du Rien en tant que Tout, Charles Antoni L’Originel, collection Non-Dualité, 2007, pp. 15-17.
source: 3ème Millénaire


dimanche 30 septembre 2012

Wei wu wei





"Il semble y avoir deux sortes de chercheurs : ceux qui cherchent à rendre leur ego différent de ce qu'il est, c'est à dire : sacré, heureux, non égoiste (comme si vous pouviez faire un poisson non poisson), et ceux qui comprennent que toutes ces tentatives ne sont que gesticulations et jeux, qu'il n'y a qu'une seule chose qui puisse être faite, se désidentifier soi même de l'ego, en réalisant sa non réalité, et en devenant conscient de son identité éternelle avec le pur Être."

Wei Wu Wei
 
 

lundi 24 septembre 2012

Revue 3ème Millénaire

Numéro 105 - Qu'est-ce que la vie ?


  N°105 - Qu'est-ce que la vie ?





















La vie... nous la percevons avec une évidence le plus souvent inaperçue ; ou plutôt nous l'a-percevons, tant elle échappe à l'intellect forgé à l'exercice des représentations. C'est une aperception qui est la connaissance fondamentale de nous-même évoquée par Jacques Castermane et Darpan dans ce numéro. C'est à partir d'un approfondissement de cette révélation fragile que nous pourrons répondre à la question « Qu'est-ce que la vie ? ». L'impression de vivre, d'être vivant doit être présente à la conscience qui investigue cette question. En l'absence de cette impression originelle, l'intellect s'égare dans le labyrinthe des notions et des représentations captivantes qui nous laissent croire qu'ailleurs – hors de nous-même – on a trouvé, on sait ce qu'est la vie et on comprend comment ça marche...


 105   -   Automne 2012
Thème :   Qu'est-ce que la vie ?
Sommaire
3e millénaire : Un fil d'Ariane vers la vraie vie
Michel de Salzmann : Le commencement de la conscience
Darpan : L'aspiration profonde
3e millénaire : Qu'est-ce que la vie ?
Alexis Mari Pietak : Les résonateurs d'énergie vivante
Jean-Bouchart d'Orval : Les mailles du filet
Kiran : Rien à changer
Karl Renz : La vie ne naît jamais, et tu es Cela
Serge Dulac : Qu'est-ce que la vie ?
Jacques Castermane : La santé fondamentale
Henri Bortoft : La possibilité d'une nouvelle science
Claire Carré : Penser comme un corps
Richard Moss : Revenir au présent
Témoin d'éveil : 
Claudette Vidal : La grâce de l'éveil
Document : 
J. G. Fichte : Le Penser, c'est la Vie
Approches de la Méditation :
Vimala Thakar : Qu'est-ce que la méditation ?
N°105 - Editorial    -   Automne 2012

Qu'est-ce que la vie ? 

La vie... nous la percevons avec une évidence le plus souvent inaperçue ; ou plutôt nous l'a-percevons, tant elle échappe à l'intellect forgé à l'exercice des représentations. C'est une aperception qui est la connaissance fondamentale de nous-même évoquée par Jacques Castermane et Darpan dans ce numéro. C'est à partir d'un approfondissement de cette révélation fragile que nous pourrons répondre à la question « Qu'est-ce que la vie ? ». L'impression de vivre, d'être vivant doit être présente à la conscience qui investigue cette question. En l'absence de cette impression originelle, l'intellect s'égare dans le labyrinthe des notions et des représentations captivantes qui nous laissent croire qu'ailleurs – hors de nous-même – on a trouvé, on sait ce qu'est la vie et on comprend comment ça marche...
Regardez, lorsque vous pensez, par exemple : « la vie naît de l'agencement complexe de molécules et de macro-molécules, d'acides aminées arrangées en double hélices, etc. » A ce moment précis, où est passée cette conscience de la vie qui vous touchait, corps et âme, tout à l'heure ? Où en êtes-vous avec cette présence d'être vivant, sans mot, qui se donne à nous dans un éternel maintenant habituellement inaperçu ?...
Réitérons cette expérience du regard intérieur. Je me sens vivant : la réponse s'offre sans mot à la question « Qu'est-ce que la vie ? »... mais la tendance habituelle, ou mécanique, de l'esprit intellectuel – comme l'expose judicieusement Henri Bortoft – forge ses concepts, ses images, ses croyances, comme par exemple : « l'essence de la vie, c'est l'ADN », « le premier être vivant, c'est la cellule », « la vie n'existe qu'à travers des fonctions organiques », etc. Tous ces jugements, je les vois maintenant défiler en mots et en schémas sombres, puis, mieux, je perçois les ombres cérébrales de la machine intellectuelle qui les fabrique. Dans l'étonnement de cette découverte, tout s'arrête – dans la « grâce de l'instant » comme aime à l'exprimer Claudette Vidal –, la vie est là et me saisit dans la totalité de moi-même, corps-âme-esprit. Je réalise alors la nature subtile de la réponse à ma question : la vie est partout ! Je suis dans la Vie.
Retour en arrière après avoir entraperçu cette incroyable évidence... Poétiquement je veux bien concevoir que « la vie est partout », mais scientifiquement !? c'est une hérésie ! La vie, je l'ai appris – avec ma tête s'entend – elle ne peut être que dans les êtres vivants ; c'est quelque chose qui est en eux et que l'on ne voit pas a priori. En cela, le « mythe des gènes », comme le dénonce Alexis Mari Pietak est devenu très séduisant ; il explique ce que nous ne voyons pas, mais que nous pouvons nous représenter : c'est du concret !
Retour au présent. La vie, je le perçois, c'est la présence. Elle est partout. Je sais bien que si elle est dans les plantes du jardin, elle n'est pas dans les pierres de rocaille, ou dans les pavés du chemin qui longent la haie vivante de verdure. Mais au-delà de ce savoir, je vois que les pierres, et tout le monde minéral est dans la vie ; le non-vivant n'est pas en vie, certes, mais il est baigné par le « champ vital » que je perçois comme une évidence première. Les physiciens nous ont habitué à envisager l'existence des champs électromagnétiques qui parcourent le monde, tandis que les biologistes nous en ont privés ! Nous sommes intellectuellement privés de l'idée d'un « champ vital » qui est cependant ce que nous ressentons dans les moments où nous vivons le plus, où nous vibrons d'existence. C'est un comble d'ignorance !
Investiguons cette vivante présence – la vie pure – qui s'éveille en nous en réponse à la question « Qu'est-ce que la vie ? ».
A ressentir subtilement la vie maintenant, à respirer la vie, à goûter la vie pure qui me ravit, une dimension nouvelle se lève transfigurant les trois dimensions de l'espace observable. Darpan le souligne, c'est « la pleine dimension d'une présence « océanique » ». Elle émerge comme une quatrième dimension. La vie... ? Serait-ce le temps ?! Ce temps qui jusque-là n'avait été qu'un concept mort : une quatrième dimension justifiant l'existence tridimensionnelle de l'espace. La découverte est immense : la vie n'est plus un concept, c'est la quatrième dimension vécue, source de toute métamorphose au cœur des vivants. Désormais, l'intellect peut se former des concepts nouveaux ou retourner à ses anciennes opinions ; ce processus d'un retour en arrière demeure un simulacre de connaissance qui consiste, comme le dit Jean Bouchart d'Orval, à s'accrocher « aux grilles que nous avons dans le cerveau pour voir le monde ». Très sérieusement, ce processus n'est plus crédible, et je vois bien que ce processus du savoir n'a d'existence que parce qu'il est porté par une énergie vitale qui le transcende. L'observation de ce fait me ramène à l'ouverture d'esprit qu'est la vie elle-même non dissimulée sous les formes d'emprunts des savoirs. La conscience de la vie m'échappait parce que, comme le fait remarquer Richard Moss, nous avons peur de ne rien savoir, et nous sommes habitués, lorsqu'il s'agit de parler de la vie, à recevoir et à concevoir des représentations réductrices. Les croyances mécanicistes sont tenaces ; elles bercent les esprits européens depuis presque trois cents ans ; et, il faut le reconnaître, les progrès prodigieux de la biochimie séduisent désormais l'humanité sur tous les continents. Comme l'indique Henri Bortoft, il n'est pourtant pas question ici d'opposer les « sciences dures », nées avec la chimie moderne, à l'approche vivante de la globalité de la vie que ce numéro de 3e millénaire essaie d'esquisser. Toutefois, nous pouvons rapprocher les témoignages d'éveil, tel celui de Claudette Vidal, les enseignements de la non-dualité, tel celui de Karl Renz et les thérapies holistiques menées par Richard Moss ou Darpan, de la nouvelle science de la globalité initiée par Goethe.
Cette « nouvelle science » de la globalité de la vie repose sur l'évidence d'être vivant et non sur les représentations mentales qu'on se fait de la vie des êtres vivants. Cette évidence d'être vivant est la meilleure des approches car elle ne nous coupe pas de notre être, elle élève celui-ci à un niveau de connaissance jusque-là inconscient. Nous découvrons que la vie est grande ouverte sur le monde ; que c'est une dimension dans laquelle l'univers a toujours baigné. Cette ouverture, cette dimension de la présence vivante, nous conduit à l'évidence inouïe que la vie ne peut pas se réduire à des processus physico-chimiques aussi complexes soient-ils. Les notions de monde éthérique et de forces vitales ou forces formatrices développés par Rudolf Steiner et les chercheurs anthroposophes [1] semblent répondre à l'approche phénoménologique présentée ici. Dans – et par – une imagination vivante, qui, comme le souligne Jean Bouchart d'Orval, « n'est pas l'imagination comme nous la connaissons, où nous déroulons des images artificielles », nous découvrons, de tout notre être, la vie vibrante d'énergie consciente. Ce n'est plus l'expérience d'un objet qui nous est extérieur qui reste à connaître et dont nous ignorions l'existence ; c'est nous-même au plus proche de nous, c'est notre être qui s'éveille à sa nature primordiale. Nous n'en avions aucune connaissance, parce que comme le dit Michel de Salzmann : « Nous croyons que nous sommes ce que nous pensons que nous sommes ; c'est là notre première erreur, notre première illusion. » Ce que nous sommes réellement est beaucoup plus merveilleux que les images ratatinées que nous en avons et auxquelles nous tenons comme à la prunelle de nos yeux aveugles. Claire Carré exprime ce lien sacré en relation à la Nature : « Lorsque nous parlons de nous relier à la Nature, souvenons-nous que la Nature la plus proche est notre être même, corps et âme ».
Si les rythmes et les formes du vivant naissent de la totalité comme le suggère directement la vision globale de la vie, la connaissance expérimentale des mécanismes biochimiques, et du fonctionnement très complexe des gènes en cours de déchiffrement, apporte une somme de savoirs non négligeable. Le risque est alors de se leurrer sur la nature de la vie, celle-ci étant alors traduite exclusivement en termes de fonctions chimiques.
La difficulté monumentale tient au fait que nous n'envisageons habituellement la vie qu'à un seul et même niveau : celui de la personnalité pourvue, par nature, d'un corps et d'un psychisme. La vie au niveau spirituel, la vie réelle que révèle la conscience d'être vivant – celle de notre essence – est beaucoup plus rarement évoquée car totalement ignorée par les sciences humaines – la psychologie transpersonnelle ayant les plus grandes difficultés à se faire reconnaître. La personnalité et l'essence – une double idée émise par Gurdjieff et reprise par Michel de Salzmann – voilà bien ce qu'il faut discerner si nous voulons comprendre la vie dans sa totalité : la vie biologique et la vie cosmique ; celle qui n'est comprise qu'à travers les processus complexes internes à la cellule, et celle qui est perçue globalement comme un « champ vital » qui semble s'étendre indistinctement jusqu'aux lointains de l'espace. La vie biologique est celle du chaos cellulaire, la vie globale celle du cosmos. Chacun d'entre nous peut constater ce fait. L'observation de soi fait apparaître, dans un premier temps, le tohu-bohu des pensées, des émotions et des pulsions inextricablement liées et contradictoires : c'est la personnalité constituée de multiples « moi » – c'est la complexité du désordre. Puis, avec plus de profondeur, nous rencontrons l'impossibilité d'observer réellement ce qui est. En effet, au premier abord et sur le mode de l'effort, c'est le désordre qui observe le désordre : c'est la dualité observateur/observé – le domaine du Chaos. A ce moment-là, l'observateur dévoile son rôle réactif de juge suprême ; nous constatons que s'observer, c'est orienter toujours ce que l'on voit, c'est se confronter toujours à l'observé qu'il s'agisse d'un objet de désir ou de crainte, d'un état agréable ou désagréable. L'observateur regarde toujours avec une intention. Par une vision directe, ce constat fort n'amène aucune solution à l'ego en quête de savoir-faire ; et pourtant l'ordre du Cosmos se lève à l'horizon de la conscience d'être. Il ne s'agit pas d'un nouveau commandement sur ce qu'il faut faire ou ne pas faire. Cet ordre cosmique est celui de la vraie Vie qui nous englobe et nous traverse. Cette conscience de la vie, qui n'est pas du domaine des savoirs, implique d'apprendre à « être ici » suivant, par exemple, l'approche préconisée par Serge Dulac.
« La vie, c'est la beauté, la douleur, la joie et la confusion. C'est l'arbre, l'oiseau et le reflet de la lune sur les eaux ; c'est le travail, la souffrance et l'espoir. C'est la mort, la poursuite de l'immortalité, c'est croire en même temps que de ne pas croire en l'être suprême. C'est la bonté, la haine et l'envie. C'est l'ambition et la rapacité, l'amour et le manque d'amour. C'est l'imagination et la faculté d'utiliser la machine, c'est l'extase insondable. C'est l'esprit, le méditant et la méditation. La vie est en toute chose. Mais de quelle façon nos esprits étroits et confus appréhendent-ils la vie ? C'est cela qui est important et non pas la description de ce qu'est la vie. Toutes les questions et les réponses dépendent de notre approche de la vie. » Krishnamurti [2]
[1] - Voir par exemple : V. Bott, P. Coroze et E. Marti, Les forces de vie, Triades, 1981 ; G. Adams et O. Whicher, Entre soleil et terre : la plante. Espace et contre-espace, Triades, 1982 ; G. Adams, E. Marti et J. Smit, Le monde éthérique, Triades, 1998.
[2] - Krishnamurti, Commentaires sur la vie (tome 3), Buchet/Chastel, 1976, p. 151.