lundi 30 octobre 2017

Eric Baret




AIMER C’EST ÉCOUTER


Aimer vraiment quelqu’un, c’est un concept. On ne peut pas aimer quelqu’un. C’est un fantasme. La personnalité ne peut pas aimer. Aimer, c’est ce qui est essentiel, ce n’est pas quelque chose que l’on peut faire ou non. Quand on arrête de «faire», il reste l’amour.
On aime quelqu’un quand il correspond à notre fantasme. La personne que vous aimez s’il fait ceci ou cela, vous ne l’aimerez plus. Un amour qui commence et qui finit n’est pas vraiment un amour. Aimer, c’est écouter, c’est être présent. Aimer les enfants, c’est ne pas leur demander quoi que ce soit et tout donner. Un jour ils disparaîtront, ils ne seront plus en contact avec vous. Demandez à votre fils de vous donner des nouvelles, ce n’est pas de l’amour. Le fils fait ce qu’il a besoin de faire; il ne se demande rien à un enfant. Mais aimer quelqu’un sur un plan humain, c’est un fantasme.

L’ego ne peut pas aimer. Il utilise, prétend, se rassure. Quand vous trouvez quelqu’un qui correspond à votre imagination physique, psychologique, intellectuelle, affective, vous dites que vous l’aimez profondément. Quand cette personne fait quelque chose de différent, alors elle devient détestable. On ne peut pas aimer quelqu’un. Sentir une forme d’amour est profondément juste. C’est avant le fantasme de «j’aime quelqu’un». Le sentiment d’amour est profond, essentiel. Mais, par manque de maturité, on pense qu’on aime «quelqu’un». En fait, on aime tout simplement, parce que l’amour est sans direction.

Ce que j’aime, c’est ce qui est présent devant moi. Il n’y a rien d’autre. Qu’est-ce qui pourrait être plus beau, plus extraordinaire, que ce qui se produit dans l’instant si je n’ai pas la prétention que la beauté et la sagesse soient ailleurs? L’amour est ce qu’il est quand on cesse de prétendre aimer quelqu’un. Aimer quelqu’un, vouloir être aimé, c’est une histoire. Qu’est-ce que ça veut dire d’être aimé? Personne ne vous aime, personne ne vous aimera jamais, personne ne vous a jamais aimé, et c’est merveilleux comme ça. Les gens ne peuvent qu’exiger. Si vous correspondez à leurs critères psychologiques, physiques, affectifs, ils vous aiment quand ils vous rencontrent. Si vous ne leur correspondez pas, ils vous détestent. Et alors? Il y a des chiens qui vous aiment et d’autres qui ne vous aiment pas. C’est biologique. Pourquoi s’occuper de ces choses? Qu’est-ce que ça fait d’être aimé? C’est un fantasme. Que se passe-t-il si quelqu’un projette une attraction ou une répulsion sur moi? C’est complètement fantasmatique! À un moment, vous vous rendez compte que vous n’avez pas besoin d’aimer ou d’être aimé. Qu’est-ce qu’il y a? Reste le sentiment d’amour, cette communion que l’on a entre tous les êtres et qui n’est pas directionnelle. Vous vous rendez compte qu’aimer vous appartient.

Ce qui vous rend heureux, c’est d’aimer. Si quelqu’un dit qu’il vous aime profondément, mais vous ne l’aimez pas, ça ne vous apporte rien. En revanche, quand vous aimez cela vous rend heureux. Les choses étaient donc à l’envers: aimer c’est à nous. Quand j’aime mon corps, mon esprit, mon environnement, il y a de la tranquillité. Vouloir être aimé, c’est juste un concept. Quand vous aimez, vous n’aimez pas quelqu’un, vous aimez, c’est tout.
La personne avec qui vous vivez, vous dormez ou vous allez au cinéma, c’est autre chose. Vous ne pouvez pas dormir avec tout le monde, vivre avec tout le monde. Une sélection organique s’impose. Mais l’amour ne se situe pas ici. Ce n’est pas parce que vous dormez avec quelqu’un que vous aimez plus qu’un autre avec qui vous ne dormez pas! Ce n’est pas parce que vous vivez avec une femme que vous l’aimez plus que toutes les autres avec qui vous ne vivez pas. C’est fonctionnel. Il y a des gens que nous aimons profondément et pourtant nous ne vivons pas avec eux. Il n’y a pas de circonstances. Je n’ai pas besoin d’aimer quelqu’un pour vivre avec lui, dormir ou voyager. Cela se produit à un autre niveau.
Mais vous verrez que tôt ou tard «aimer quelqu’un» ne veut rien dire. C’est comme se prendre pour quelqu’un. C’est juste une image. Je peux être stimulé par quelqu’un. Quand mon corps passe à vingt mètres d’un autre corps, une forme d’intensité se manifeste et à dix mètres, ça sera encore plus intense, et quand on se effleure, c’est comme une folie qui arrive: son odeur, la forme de son corps, le son de la voix, la façon de se déplacer, sa douceur ou sa dureté, sa richesse ou sa pauvreté font que je suis touché. Mais pourquoi appeler l’amour tout ça? C’est purement chimique. Selon ce à quoi ressemblait votre père, votre grand-père, si vous étiez battu ou caressé à trois ans, vous aimerez cette forme-ci ou cette forme-là de corps, telle ou telle odeur, telle ou telle façon de bouger. Cette personne vous attire, une autre pas du tout. Cela remonte à très très loin. Le mot «amour» n’a rien à voir là-dedans.

C’est juste quand vous voyez clairement tout cela que vous pouvez vous marier, avoir des enfants sans avoir besoin de jouer. Alors vous vivez fonctionnellement avec quelqu’un, avec tout le respect et l’écoute que cela implique. Mais vous n’êtes pas obligé de croire que vos enfants sont vos enfants, que vos parents sont vos parents, que votre mari soit votre mari. Je le suis aussi, bien sûr, de temps en temps.
Aimer, c’est écouter.

Éric Baret
par Jean Bouchart d'Orval : «La Joie de Bhairava», Fontaine de Médicis, Jardin du Luxembourg